« Un héros », d’Asghar Farhadi, aussi puissant qu’implacable (2024)

Un héros ****

d’Asghar Farhadi

Film franco-iranien, 2 h 08

Asghar Farhadi n’est jamais aussi juste que quand il tourne dans son pays. Ses deux expériences internationales – Le Passé (2013) et Everybody Knows (2018) – avaient laissé un sentiment d’inabouti. Si ses histoires explorent la sphère intime et familiale et peuvent prétendre à une certaine universalité, elles ne trouvent leur plein écho que dans le contexte d’une société iranienne imposant à ses concitoyens une morale d’État dont le cinéaste excelle à ausculter les contraintes et les dérives.

→ CRITIQUE. Festival de Cannes 2021 : le retour gagnant d’Asghar Farhadi

Avec ce nouveau film, couronné par un grand prix au Festival de Cannes, le cinéaste doublement oscarisé franchit un pas de plus dans la critique d’une société rongée par la bureaucratie, la méfiance, et la manipulation. À travers l’ascension et la chute de Rahim, héros devenu paria, le réalisateur déroule une implacable et magistrale mécanique, concentré de tous les travers d’un régime et d’un pays qui a érigé le pardon et la rédemption en vertus publiques et médiatiques.

Une histoire inspirée de faits divers lus dans la presse

Le cinéaste s’est inspiré, pour bâtir son scénario, d’articles de presse mettant régulièrement en avant des hommes ordinaires, glorifiés en raison d’un acte altruiste ou simplement pour avoir rendu un objet trouvé. «Dans quels pays félicite-t-on quelqu’un pour ne pas avoir commis un acte répréhensible ? », s’est-il interrogé en substance. Tourné à Chiraz, loin du tumulte de Téhéran, le film met donc en scène Rahim, un peintre en calligraphie, qui se retrouve face à un dilemme.

Emprisonné pour dettes à la suite de la plainte déposée par son ex-beau-frère, il peut obtenir sa libération grâce aux pièces d’or d’un sac à main que sa compagne a trouvé dans la rue. Il s’y résout, ne supportant plus la prison, avant d’être rattrapé par sa mauvaise conscience. Il décide alors de passer une annonce pour retrouver la propriétaire afin de lui rendre le sac et son contenu. Informé de sa bonne action, le directeur de la prison, soucieux de faire oublier la vague de suicides qui affecte son établissement, décide d’alerter la presse.

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Devenu ce héros que tout le monde a vu à la télévision, ­Rahim est pris en main par une association d’aide au pardon qui lui décerne « un certificat de mérite » et organise une collecte. Pourtant, son créancier arguant de sa mauvaise réputation reste inflexible, et l’administration, qui lui a promis un emploi à sa sortie, se fait tatillonne. D’autant que des rumeurs commencent à circuler sur les réseaux sociaux. Et si tout cela n’était qu’un coup monté ? Son geste était-il sincère ou bien calculé ? Le doute semble permis tant son attitude, avec son éternel sourire plaqué sur son visage, paraît ambiguë. Sommé de fournir des preuves, Rahim est dans l’impossibilité de retrouver la propriétaire du sac, volatilisée dans la nature.

Un engrenage digne d’un thriller

C’est là qu’Asghar Farhadi met en place un engrenage redoutable, digne d’un thriller, dans lequel chaque tentative de Rahim pour prouver sa bonne foi va se retourner contre lui. Où tout mensonge ou demi-vérité sera invariablement porté à son discrédit. Filmé le plus souvent à travers des vitres ou des portes, son personnage se retrouve comme un prisonnier en cage, se heurtant à la mauvaise foi de ses interlocuteurs, pressés de se couvrir ou de le manipuler au nom d’un pseudo « pays parfait » dont le système médiatique se fait l’écho dévastateur. Jusqu’à ce que Rahim se retrouve au pied du mur, confronté à un ultime dilemme qui le fera revenir à son point de départ.

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Avec cette construction circulaire dans laquelle son héros est condamné d’avance, Asghar Farhadi affirme la précision d’une mise en scène dont la virtuosité n’est plus une surprise mais qui atteint ici la perfection. Elle nous happe littéralement jusqu’au dénouement, nous laissant à peine respirer. La puissance de son film tient également dans sa volonté d’embrasser tous les maux d’un pays à la fois. Si Un héros se situe sur un registre moins intimiste qu’Une séparation, la force de son message n’en est que plus fort.

• Non ! * Pourquoi pas ** Bon film *** Très bon film **** Chef-d’œuvre

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Le réalisateur en lice pour un troisième Oscar

Asghar Farhadi est né le 7 mai 1972 (49 ans).

2009. À propos d’Elly, Ours d’argent de la meilleure réalisation à Berlin.

2011.Une séparation, Ours d’or et prix d’interprétation féminine et masculine à Berlin, César et Oscar du meilleur film étranger.

2013. Le Passé, prix d’interprétation féminine pour Bérénice Bejo au Festival de Cannes.

2016.Le Client, prix du scénario au Festival de Cannes, Oscar du meilleur film étranger.

2021. Un héros, grand prix du Festival de Cannes, choisi pour représenter son pays aux prochains Oscar malgré une lettre ouverte publiée fin novembre dans laquelle Asghar Farhadi critique ouvertement le gouvernement.

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